Avignon, le 4 juillet 2019
Les rues d’Avignon ont enfilé leurs robes de festival, cousues d’affiches. Ou peut-être qu’on leur a un peu forcé la main. Les pas nerveux dans les rues, ce matin, ce sont ceux des comédiens qui se préparent à leurs générales et qui ne voudraient pas risquer de louper cette dernière étape avant le coup de feu. Dans les rues les derniers livreurs déposent à la volée les derniers cartons de tracts et d’affiches, de dossier et de brochures, de cartes et de dépliants… (ici, quand on parle de bilan carbone, chacun baisse les yeux, se sentant coupable, complice, confus).
Et parmi cette foule grandissante progressivement, il y a les chargés de diffusion, parmi tant d’autres professions. Quel métier que celui-là ! Être devant, avant, après, derrière, tout le temps et en toutes circonstances, tout en étant en retrait, discret. Il n’y a qu’un seul moment où le chargé de diffusion peut s’arrêter, pendant le spectacle (s’il n’en profite pas pour quelques coups de téléphone et quelques mails). Instant sacré que celui-là où les choses se concrétisent, où l’objet de toutes les attentions s’émancipe et évolue tout seul. Pour finalement s’évaporer comme un feu follet à la fin de la représentation, jusqu’au lendemain où la magie opèrera de nouveau.
Les chargés de diffusion forment une petite caste au sein du festival. Nous ne nous côtoyons pas vraiment. Nous sommes un peu comme en chasse. Nos proies sont tous ceux qui pourraient donner un avenir à nos spectacles, et de ces personnes-là, il y en a si peu que le combat est ardu pour se faire une place. Alors on se toise, on se frôle, on s’examine, on s’étudie, et on se sourit, surtout. Nous sommes dans une même équipe. Même si nous ne jouons pas collectifs, nous affrontons le même adversaire.
Petite caste, aussi, car peu de compagnies peuvent se payer les services d’un chargé de diffusion. Il y a les amis, les parents, les copains qui donnent un coup de main, pour sûr. Mais le chargé de diffusion, celui que l’on convoite, parce qu’il a le fameux carnet d’adresse, celui-là a un coût, que peu parviennent à assumer. Et quand on en a un, c’est comme un privilège. On se dit qu’on s’est donné tous les moyens possibles, que l’on n’a plus à porter la responsabilité de la diffusion, et c’est sans doute un soulagement. Sans doute, mais je l’ignore en réalité. Car je suis chargé de diffusion, et pour moi, le festival n’est qu’une longue succession de doutes, de craintes, d’inquiétudes, d’espoirs, de désespérances, et de petits bonheurs surtout.
Demain commencera le festival Off 2019 d’Avignon. Pour le chargé de diffusion, le festival d’Avignon Off 2019 a commencé quelques jours après que le festival Off d’Avignon 2018 s’est arrêté. Et il ne s’arrêtera pas avant l’été prochain. Mais sur ces quelques jours de juillet, je vous propose de suivre l’œil d’un chargé de diffusion sur les pavés d’Avignon.